Classé à la fois comme « espèce chassable » et comme « espèce susceptible d’occasionner des dégâts » (ESOD), le renard est chassé toute l’année en France. Victime d’une mauvaise réputation, accusé de tous les maux, c’est le souffre douleur préféré des chasseurs. Rien ne lui est épargné : tir au fusil, chasse à courre, piégeage, déterrage … Au total, ce sont plus de 600.000 individus qui sont ainsi tués chaque année. Pour quel résultat ? Les chasseurs prétendent ainsi « réguler la nature » et « protéger la biodiversité ». Mais dans les faits, c’est plutôt l’inverse qui se produit …
Le renard est l’un des mammifères sauvages les plus répandus à travers le monde. On le rencontre dans des milieux très variés : plaines, montagnes, forêts, littoraux et jusque dans les villes. Omnivore généraliste et opportuniste, il est capable de manger de tout : petits rongeurs, lapins, oiseaux, insectes, fruits, céréales, charognes, aliments pour animaux domestiques, restes de déchets humains … C’est le roi de l’adaptation et de la débrouillardise. Ses capacités cognitives exceptionnelles (mémoire, apprentissage …), son aptitude à vivre seul ou en groupe (avec une organisation sociale, un mode de communication varié), ses techniques de chasse complexes (en mulotant, simulant …) ou encore son aptitude à trouver facilement de nouvelles stratégies de survie, sont les signes d’une intelligence rare, malheureusement trop souvent ignorée.
Le renard est pourtant bien présent dans la culture. Avec une image tantôt positive, tantôt négative. Nous avons tous en tête les fables de La Fontaine, dans lesquelles l’animal est présenté comme un être fourbe, profiteur, n’hésitant pas à mentir ou trahir pour arriver à ses fins (cf « Le Corbeau et le Renard », « Le Renard et le Bouc » …). Ou encore Pinocchio de Carlo Collodi, dans lequel il apparait sous les traits d’un escroc, un faux ami du personnage principal essayant de le voler. D’un autre côté, on peut citer « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry, dans lequel un renard bienveillant apprend au héros la vraie valeur des choses (en premier lieu celle de l’amitié) ou bien « Fantastique Maître Renard » de Roald Dahl dans lequel un renard se sert de son intelligence pour échapper à la famine …
En France, c’est un ouvrage paru au moyen-âge (XIIIème siècle), le Roman de Renart, qui a peut-être le plus marqué les esprits. Rassemblant les textes de plusieurs auteurs anonymes ou peu connus, le roman donne le premier rôle à un goupil (ancien nom du renard) nommé Renart (et surnommé le « roi de la ruse »), qui incarne le mal et le vice. Mesquin, tricheur, profiteur, il n’hésite pas à faire du mal aux autres et va même jusqu’à tuer. Le retentissement de l’oeuvre fut tel que le terme goupil est devenu renart puis renard à partir du XVIème siècle. L’expression « rusé comme un renard » aurait elle existé sans la parution de cette oeuvre ? Pas sûr. Quoi qu’il en soit, celle-ci a probablement contribué à la mauvaise réputation de l’animal dans l’imaginaire collectif.
Revenons au réel. Dans les campagnes, le renard est chassé depuis très longtemps. On l’accuse de voler des poules ou de s’en prendre au petit gibier (lapins, perdreaux …). Des accusations émanant des éleveurs de volailles, qui constataient des pertes dans leurs poulaillers, comme des chasseurs eux-mêmes, qui voyaient dans le renard un concurrent direct à leur activité. S’agissant des volailles, ces pertes étaient importantes lorsque la population était majoritairement rurale et qu’on trouvait dans les campagnes un grand nombre de petits poulaillers. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et on sait par ailleurs qu’un poulailler bien protégé ne connait aucune victime. Quant au petit gibier, sa raréfaction est bien plus la conséquence de l’urbanisation croissante, de l’agriculture intensive, de la chasse, de la densification du réseau routier … que du renard.
Autre accusation historique : la rage. Maladie mortelle affectant le système nerveux, son virus se transmet par la salive (morsure, léchage sur une peau lésée) d’un animal infecté à un autre animal, ou (plus accidentellement) à un être humain. S’il est vrai que le renard constitue l’un des premiers vecteurs de la maladie, il faut aussi préciser que cette dernière a quasiment disparu en Europe de l’Ouest et que la France en est officiellement indemne depuis 2001 (le dernier cas observé chez nous date de 1998). Il faut aussi et surtout préciser que l’éradication de la maladie est due à la vaste campagne de vaccination des renards menée à partir de 1986, et non au massacre quasi généralisé de l’espèce qui avait précédé (lequel avait au contraire favorisé sa progression).
Restent deux arguments encore régulièrement mis en avant : celui d’une surpopulation (qui mettrait en péril la biodiversité) et celui d’une maladie transmissible à l’homme, l’échinococcose alvéolaire. Commençons par le premier. Si l’on peut admettre que le renard n’est pas une espèce menacée (elle n’est pas classée au titre de l’IUCN), rien ne permet d’affirmer qu’elle soit en train de proliférer. Ni surtout qu’il faille la main de l’homme pour la contenir. Il est scientifiquement prouvé que les populations de renards s’autorégulent naturellement. D’un côté, elles se limitent en fonction du nombre de proies disponibles sur le territoire (lequel n’augmente pas dans le temps), d’un autre elles se reconstituent en cas de pertes dans leurs rangs (dûes à la chasse notamment).
L’échinococcose alvéolaire ensuite. Il s’agit d’une maladie parasitaire transmissible à l’homme par des carnivores sauvages ou domestiques (consommateurs de rongeurs) : chiens, chats, renards. La contamination la plus fréquente se fait par contact direct avec des animaux domestiques (via la salive), celle avec des animaux sauvages étant principalement due à la consommation de fruits des bois contaminés (par des excréments). Affectant le foie, la maladie peut être mortelle si non traitée (quelques dizaines de cas par an sont signalés en France). Pour autant, quelques mesures d’hygiène permettent de s’en prémunir : lavage des mains, des fruits cueillis, vermifugation des chiens et chats (avec des anthelminthiques) … Quant aux renards, des études ont montré que leur abattage était contre-productif pour lutter contre la maladie ; des études préconisant plutôt leur vermifugation (appâts avec anthelminthiques), jugée plus efficace.
Lobbying des chasseurs oblige, ces arguments (ou contre-arguments) sont peu entendus. Et le renard reste probablement l’animal sauvage le plus persécuté de France. Avec le double statut d’animal gibier (bien qu’il ne se mange pas) et de « nuisible » (dit plus joliment « espèce susceptible d’occasionner des dégâts »). En tant qu’espèce gibier, le renard est chassé 10 mois par an, du 1er juin au 31 mars, selon plusieurs méthodes : le tir essentiellement, mais aussi la chasse à courre, le déterrage et la chasse au faucon (plus rare). Et en tant qu’espèce nuisible, il est tué toute l’année (dans les 91 départements où il est classé comme tel), selon les méthodes suivantes : le piégeage essentiellement, le tir (comprenant les battues administratives) et le déterrage (dans une moindre mesure).
Un mot sur ces méthodes. La chasse à tir d’abord, qui n’est pas aussi « propre » que certains veulent bien l’imaginer ; car si certains animaux sont tués sur le coup, combien d’autres, blessés, s’enfuient agoniser au loin, parfois pendant des heures ou des jours ? La chasse à courre ensuite, qui consiste à faire poursuivre un animal par des chiens pendant des heures (jusqu’à épuisement), avant de le tuer avec une arme blanche ou un fusil (à moins qu’il ne soit déchiqueté par les chiens). Le déterrage encore, qui consiste à faire poursuivre un animal dans les galeries de son terrier, l’acculer, puis l’extraire (avec des pinces) avant de le tuer de façon plus ou moins violente (avec une arme, les chiens …). Le piégeage enfin (par contention, au lacet, au collet …) qui implique que l’animal piégé attende immobilisé (terrorisé) pendant des heures, parfois des jours, qu’on vienne l’achever.
De plus en plus de voix s’élèvent pour décrire le renard comme un animal utile et obtenir son déclassement de la liste des nuisibles. En tant que charognard, il participe à l’élimination des animaux malades et des cadavres (animaux victimes du trafic routier, animaux marins échoués sur les plages …), évitant ainsi la propagation d’épidémies. De plus, des études ont montré qu’il freinait l’expansion de la borréliose de Lyme (maladie rarement mortelle mais pouvant laisser des séquelles invalidantes importantes) en éliminant les rongeurs, qui transportent les tiques vectrices de cette maladie. Une élimination qui diminue également les dégâts aux cultures (estimés entre 1000 et 4000 euros par exploitation et par an) et évite le recours aux rodenticides (bromadiolone notamment) cruels pour les animaux et toxiques pour l’environnement.
Aucune dérégulation due aux renards n’a jamais pu être démontrée. Le Luxembourg et le canton de Genève ont d’ailleurs interdit sa chasse, aucun problème n’y a été signalé. Comme le reconnait l’Office Français de la Biodiversité (OFB) : « Le renard roux fait partie intégrante des écosystèmes, y compris urbains. Il participe à l’équilibre entre les espèces et prend toute sa place dans la chaîne alimentaire. » Et l’organisme public d’ajouter : « Le renard participe par ailleurs à la dissémination et à la régénération d’espèces végétales ; en digérant les fruits et les baies, il permet aux graines (pépins et noyaux se retrouvant dans ses déjections) d’être transportées et de germer dans de nouveaux espaces. » Équilibre de la faune, de la flore, tout y est.
On ne peut pas en dire autant de l’espèce humaine, dont les activités (chasse, agriculture intensive, urbanisation galopante …) sont responsables de nombreux déséquilibres (prolifération de certaines espèces, disparition d’autres). Il est d’ailleurs assez cocasse d’entendre les chasseurs accuser le renard de menacer certaines espèces (grand tétras, perdrix grise…), espèces qu’ils sont eux-mêmes régulièrement accusés de chasser (parfois en braconnant). En réalité, les chasseurs en veulent plutôt au renard de leur faire concurrence, que ce soit en s’attaquant aux petits animaux sauvages (lapins, lièvres …) ou en profitant du « gibier d’élevage » (faisans, perdrix …) relâché par les chasseurs eux-mêmes dans la nature (et constituant alors une proie facile).
La France est probablement le pays d’Europe où la chasse jouit des plus grandes faveurs étatiques. Et malgré la création de l’Office français de la biodiversité en janvier 2020, censé améliorer la lutte écologique et mieux contrôler la chasse, on peine à discerner une réelle évolution des choses. Grâce à leur lobbying hyperactif, les chasseurs ont toujours un rôle clé dans la prise de décision. Avec tout ce que cela implique d’absurde et d’arbitraire. Il faut changer de paradigme. La nature s’est très bien régulée toute seule pendant des milliers d’années avant que l’homme ne vienne s’infiltrer dans les rouages. Avec ce qu’il faut bien appeler une politique de « pompier-pyromane » (on régule aujourd’hui ce qu’on a dérégulé hier …). La nature nous envoie des signaux, que nous ne cessons d’ignorer : soit nous apprenons à vivre avec elle, soit elle nous le fera payer, cher.
Quelques références
Renard roux
OFB : le renard
Renard dans la culture
Rapport renard ASPAS
Rapport renard One Voice
Le renard est inscrit dans le groupe 2 des « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (arrêté ministériel triennal pour chaque département)
La vaccination a permis l’éradication de la rage du renard
OMS – Échinococcose alvéolaire : l’abattage des renards est inutile (voire contre-productif), la vermifugation reste la méthode la plus efficace
Des publications scientifique sur le sujet : ici, ici, ou encore ici
Un mémoire d’ingénieur sur le sujet
La vermifugation des animaux domestiques est également utile dans les zones à risque
La diminution du renard roux à un effet direct sur la maladie de Lyme
Le renard accusé par les chasseurs de menacer certaines espèces (grand tétras, perdrix grise)
Les chasseurs, ces sauveurs d’oiseaux (grand tétras)
La ministre de l’écologie interdit la chasse au grand tétras, menacé à cause de la chasse
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